CAN 2025 : « Je veux juste éviter de subir une humiliation », Sofiane, supporter pessimiste de l’Égypte

Lorsque l’on est habitué au caviar, il peut être difficile de se réhabituer à manger des cheeseburgers. Pour beaucoup de supporters des Pharaons, ce changement de régime alimentaire a été dur à vivre. Nation la plus titrée de l’histoire de la CAN (7 victoires), l’Égypte a connu un véritable âge d’or au début du XXIe siècle. Un triplé historique , des émotions à foison, des matchs mémorables… Entre 2006 et 2010, la boîte à souvenirs des fans égyptiens a été copieusement garnie. Si bien que le déclin entamé par la sélection est mal vécu par de nombreux suiveurs, dont Sofiane, contributeur régulier de Onze Masr , unique média indépendant traitant de l’actualité du football égyptien en France. Ce Franco-égyptien âgé de 28 ans a grandi en vibrant devant les exploits des Pharaons, vainqueurs de trois CAN consécutives en 2006, 2008 et 2010. « Mon premier souvenir, c’est 2006. Il y avait un bar en face de mon école primaire qui diffusait les matchs de la CAN », raconte le natif de Paris, qui a grandi dans le XVIIIe arrondissement. « Je sortais de l’école et je pouvais voir les matchs directement. À l’époque, la CAN était beaucoup moins accessible qu’aujourd’hui, c’était très compliqué d’avoir les chaînes. J’allais dans les cafés pour suivre les matchs, je m’installais, je prenais un diabolo menthe ». Alors âgé d’une dizaine d’années, il se prend de passion pour Mohamed Aboutrika et sa bande, redoutée par tout le continent africain. « Le football, presque une religion en Égypte » « C’était la grande époque, on terrorisait toutes les équipes, c’était un carnage », se souvient-il. « La question n’était pas de savoir si on allait gagner, mais combien. Quand on affrontait la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Ghana… Je me demandais juste si on allait leur mettre 2,3 ou 4 à 0. On savait déjà qu’on allait gagner la CAN tellement le niveau était incroyable », se remémore Sofiane, piqué par le virus du foot comme toute sa famille. « On regardait tous les matchs avec mon père. Le football, c’est presque comme une religion en Égypte. Tout le monde suit l’équipe nationale », explique-t-il. Une passion qu’il n’a jamais perdue malgré les désillusions vécues par le géant du continent, qui court derrière son premier trophée depuis désormais 15 ans et a été battu deux fois en finale, en 2017 face au Cameroun (2-1) puis en 2021 contre le Sénégal (0-0 + 4-2 t.a.b). Désireux de mettre au premier plan le football de son pays, il rejoint l’aventure Onze Masr en 2019 et contribue au développement du compte aux 12 000 abonnés sur X. Un beau succès compte tenu de la faible diaspora égyptienne en France. « En Europe, tu vas plutôt retrouver des Égyptiens en Angleterre ou en Italie », confie-t-il. « En général, ceux qui viennent en France n’ont pas le projet de s’installer sur le long terme et d’y faire leur vie. Le processus d’intégration est différent par rapport à celui des Algériens, des Marocains… Pour les Égyptiens, c’est plutôt on vient, on travaille puis on repart dès qu’on a de l’argent pour faire quelque chose au pays ». Alors, aux côtés de cinq associés dont deux anglophones, Sofiane se charge de partager l’actualité de Mohamed Salah , Omar Marmoush et consorts sur les réseaux sociaux. Leur activité va forcément se renforcer à l’approche d’une nouvelle CAN, la quatrième couverte par Onze Masr . Et le moins que l’on puisse dire, c’est que notre supporter n’est pas confiant pour les Pharaons. « On peut viser les quarts de finale, pas plus » « J’ai juste l’espoir qu’on se fasse éliminer d’une manière convenable », lance-t-il. « Je ne vois pas un monde où on va ne serait-ce qu’en finale. Je veux juste éviter de subir une humiliation », avoue-t-il, le souvenir de la défaite contre la RD Congo en 8e de finale de l’édition 2024 encore bien en tête. « Quand on se compare à certaines équipes comme le Maroc, la Côte d’Ivoire, l’Algérie… On peut viser les quarts de finale, pas plus », imagine-t-il. Dépité par le travail du sélectionneur Hossam Hassan - « il plombe tous nos espoirs » -, à qui il reproche l’absence d’une « patte » bien définie, Sofiane décrit un climat très pessimiste au pays à l’approche de la CAN au Maroc , qui verra l’Égypte défier l’Afrique du Sud, l’Angola et le Zimbabwe en phase de poules. « En ce moment l’état, d’esprit de tous les Égyptiens, c’est un peu : vite qu’on soit éliminés pour passer à autre chose et arrêter le massacre ». Malgré les doutes, les Pharaons viennent tout de même de valider assez tranquillement leur première qualification pour la Coupe du monde depuis 2018. Mais le début de saison très difficile à Liverpool de Mohamed Salah n’est pas de nature à rassurer les suiveurs de la sélection. « Il chauffe de plus en plus le banc, sa relation avec Hossam Hassan n’est pas très bonne… », détaille Sofiane, décrivant une opinion de plus en plus divisée à son sujet. « Le cas Salah est tellement complexe… Beaucoup d’Égyptiens le détestent parce qu’il n’a pas pris position sur tel ou tel conflit géopolitique, parce qu’ils disent qu’il a oublié d’où il vient… En plus, il y a cette idée reçue que si tu ne gagnes pas la CAN, tu ne peux pas être considéré comme une légende du football africain. On est beaucoup à être résignés, à penser qu’il est maudit et qu’il ne va jamais la gagner. » Charge à Salah de faire mentir les pronostics. Et de faire à nouveau vibrer tout un peuple.