2025 – 2026, l’heure de la résilience

Malgré une année 2025 chahutée par les tarifs douaniers américains, les marchés ont surpris par leur vigueur. Sébastien Gyger, responsable de la politique d’investissement de la BCV, anticipe un contexte tiraillé entre plusieurs tendances, comme la croissance de l’IA et les tensions budgétaires L’année 2025 restera dans les mémoires comme un exercice paradoxal: secouée au printemps par le tournant protectionniste américain, mais sauvée par une résilience économique inattendue et par la dynamique d’investissement liée à l’intelligence artificielle. Alors que les tarifs douaniers ont entraîné une onde de choc mondiale, les marchés financiers ont terminé l’année sur des performances étonnamment solides. C’est notamment vrai pour l’immobilier suisse, l’or, certains titres obligataires et les actions technologiques américaines. Pour 2026, l’environnement reste marqué par des tensions structurelles. Les effets différés des hausses tarifaires, les pressions inflationnistes qu’elles génèrent, les limites de la politique migratoire américaine ou encore la nécessité pour l’Europe de relancer sa base industrielle dessinent un paysage complexe. Sébastien Gyger, directeur du département Politique d’investissement à la BCV, analyse les facteurs qui ont façonné 2025 et les enseignements à tirer pour l’année à venir. Quel bilan global tirer de 2025 sur le plan économique et financier? Sébastien Gyger: L’année a été chahutée dès avril avec l’annonce des nouveaux tarifs douaniers américains, qui a surpris l’ensemble des acteurs économiques par leur ampleur. La Suisse a particulièrement souffert durant l’été, avant que Berne ne parvienne à négocier à la baisse. Pourtant, si l’on observe les marchés à ce jour, les performances se révèlent bonnes, voire très bonnes, pour les investisseurs en francs: l’immobilier suisse progresse, l’or atteint de nouveaux records, les obligations affichent un rendement positif et les actions suisses se comportent solidement. Sur le plan économique, la résilience a globalement surpris. Malgré la rupture d’avril, la croissance mondiale a tenu bon, portée notamment par les investissements massifs dans l’intelligence artificielle. Les investissements annoncés des cinq grandes entreprises technologiques américaines – Meta, Microsoft, Oracle, Amazon et Google – représentent désormais environ 1,5% du PIB américain. Ce moteur de croissance a largement compensé les craintes liées à l’augmentation des tarifs douaniers. Quels facteurs ont le plus influencé l’économie et les marchés cette année? Le triptyque MAGA, tarifs douaniers et intelligence artificielle a dominé 2025. Une question essentielle demeure: la politique de Donald Trump relève-t-elle d’un épisode temporaire auquel les acteurs économiques doivent simplement s’adapter en attendant un changement de cap, ou inaugure-t-elle une nouvelle normalité? Alors, peut-on espérer un recul des tarifs douaniers? Nous pensons qu’ils sont là pour durer, malgré les incertitudes juridiques qui persistent. Les revenus générés par ces tarifs atteindraient 300 milliards de dollars en 2025, soit près de 1% du PIB américain. C’est un montant significatif qui contribue à la stabilisation du déficit des Etats-Unis. Pour cette raison, l’administration américaine a tout intérêt à maintenir ces mesures. Il reste toutefois à attendre la décision de la Cour suprême, qui pourrait influencer leur périmètre ou leur durée. Quels enseignements en tirer pour anticiper la dynamique de 2026? Les entreprises exportatrices vers les Etats-Unis ont anticipé l’entrée en vigueur des taxes, expédiant des biens avant début août. Elles ont par ailleurs absorbé une partie des hausses dans leurs marges. Mais, in fine, ce sont les acteurs américains – consommateurs et importateurs – qui en assumeront les coûts. Le renchérissement des biens importés contribue à réactiver l’inflation, anticipée aux alentours de 2,5% en 2026. Les ménages américains risquent d’en souffrir. A court terme, les créations d’emplois devraient en outre être faibles. Car les entreprises manquent de visibilité. Et la nouvelle politique migratoire prive le pays de la main-d’œuvre nécessaire. Par ailleurs, dans les industries à haute valeur ajoutée, la qualification requise du personnel n’est pas forcément disponible localement. Les Etats-Unis auront donc besoin de l’Europe pour soutenir leur réindustrialisation. Cela pourrait bénéficier au Vieux-Continent – Suisse comprise – malgré les difficultés liées aux taxes douanières. Ces éléments compliquent la tâche de la Réserve fédérale, qui doit compter avec une inflation plus durable et une tendance plus faible sur le marché de l’emploi. Les risques de récession restent-ils écartés, en Suisse comme à l’échelle mondiale? Oui. Ces risques se sont progressivement dissipés. Aux Etats-Unis, les investissements massifs dans l’intelligence artificielle ont compensé les tensions tarifaires. En Europe, une prise de conscience s’opère par ailleurs quant à la nécessité d’investir, notamment dans la défense. La politique monétaire, en parallèle, se détend: les taux de dépôt ont reculé de 4% à 2%, ce qui soutient le crédit. En Suisse, pour revenir aux tarifs douaniers, le passage de 39% à 15% constitue un réel soulagement. De plus, l’exemption accordée à la pharma ramène l’impact effectif en dessous de 10%, malgré des déséquilibres sectoriels. L’économie suisse ralentit en dessous de son potentiel, mais le risque de récession est très faible. L’économie suisse ralentit en dessous de son potentiel, mais le risque de récession est très faible Jusqu ’ où les marchés, notamment les valeurs technologiques, peuvent-ils encore monter? Qu’on le veuille ou non, nous sommes tous concernés par cette tendance. Les entreprises cherchent désormais systématiquement à améliorer leur productivité via l’IA. La question principale consiste à savoir si nous sommes dans une bulle. Trois éléments doivent être surveillés: le niveau des valorisations, le taux d’adoption de ces technologies par les entreprises et les consommateurs et l’auto-alimentation de l’écosystème – soit le fait que les entreprises investissent entre elles. Selon nous, nous ne sommes pas en fin de cycle. La comparaison avec la bulle internet de 2002 revient souvent dans les discussions, mais la situation est différente. A l’époque, la performance des entreprises était déconnectée de leurs résultats. Aujourd’hui, la croissance des bénéfices soutient la hausse du secteur. Dans ce contexte, comment évoluera le dollar? Depuis avril, la plupart des classes d’actifs ont rebondi de manière spectaculaire… Sauf le dollar. Il n’a pas retrouvé de hauteur malgré un environnement pourtant très incertain – l’incertitude lui est habituellement favorable. C’est la grande déception de 2025. A court terme, une stabilisation est envisageable, mais à terme, compte tenu des politiques budgétaire et commerciale américaines, la pression devrait se maintenir. Qu’en est-il du franc suisse? Il va très certainement rester fort. La stabilité politique, une inflation faible et une gestion prudente des finances publiques consolident la force du franc. Et quelle trajectoire pour l ’ or? L’or conserve son rôle de valeur refuge. Les banques centrales – notamment celles des pays non alignés avec les Etats-Unis – en achètent régulièrement depuis la crise de 2008-2009, afin de se protéger des fluctuations du dollar. Les investisseurs institutionnels et les particuliers renforcent également leurs positions. Malgré l’absence de rendement de l’or, l’intérêt se maintient et contribue à la hausse des prix. Nous pensons que cette tendance se poursuivra en 2026. Dans un environnement politique incertain, l’or reste un actif stabilisateur et rassurant. Comment s’articule votre stratégie pour trouver du rendement pour les portefeuilles suisses en 2026? En Suisse, la baisse des rendements obligataires a guidé notre politique de placement. Nous avons ainsi renforcé la diversification de nos positions dans cette classe d’actifs via des obligations d'entreprises, notamment à haut rendement, et des emprunts internationaux, tous couverts contre le risque de change. Nous investissons par ailleurs dans des gestions plus dynamiques et diversifiées, pour bénéficier d’opportunités sur des marchés plus petits en Europe du Nord ou en Asie. Toujours dans un effort de diversification, nous prenons également en considération les actions suisses à haut dividende et l’immobilier suisse coté – un segment toujours solide, soutenu par une demande forte et une offre limitée –, dans la marge de manœuvre permise par l’objectif de placement de la clientèle.