« Le Maître du Kabuki » : un épatant thriller façon Scorsese dans les arcanes du théâtre japonais

Extrêmement populaire au Japon, le kabuki est une forme de théâtre aux règles bien particulières, des pièces qui se déroulent parfois sur une journée, des décors, des costumes et des mises en scènes aussi spectaculaires que grandioses, les hommes y tenant les rôles féminins. Et une façon d’interpréter très codifiée, difficile à appréhender pour un non-initié qui peut y voir une façon de surjouer permanente. Séduire le monde avec une histoire plantée dans cet univers singulier, avec de nombreuses séquences de ce théâtre, n’était donc pas évident, mais « Le Maître du Kabuki » y parvient de façon inattendue, grâce à des choix de mise en scène étonnants. Avec 12 millions de spectateurs à ce jour au Japon, et ça n’est pas fini, le long-métrage cumule les records de fréquentation. Le récit, qui s’étire sur presque 60 ans, débute lorsqu’un acteur renommé de kabuki recueille un enfant, Kikuo, fils d’un yakuza dont il est proche et qui vient d’être assassiné. L’acteur a lui-même un fils, Shinzuke, qu’il forme à son art. Rapidement inséparables, les deux gamins vont en devenir des vedettes. Problèmes de reconnaissance et d’ego, embrouilles familiales, liées à la mafia ou amoureuses, la vie se charge de les chahuter. Seul l’un d’eux sera le grand maître du kabuki. Bouleversant, tendu, spectaculaire, intimiste, dramatique, cet incroyable long-métrage finit par prendre aux tripes et tourner au choc de cinéma. Les scènes de kabuki peuvent déstabiliser au départ, mais on devient presque accro tant ces séquences restituent et transcendent, au théâtre, ce que les deux héros vivent au quotidien. Ce film-fleuve tient du prodige de mise en scène, comme si Martin Scorsese envoyé en terres nippones en avait ramené cette pépite, thriller familial sans pitié. On pense notamment aux « Affranchis » ou aux « Infiltrés » dans la façon dont Sang-il Lee, le réalisateur, instille un rythme frénétique à l’action toujours centrée sur des rapports familiaux de plus en plus déchirés. Les deux protagonistes passent de l’ombre à la lumière, et inversement, avec une rapidité fulgurante et de façon épique. Le film repose aussi sur les prestations démentielles de Ryô Yoshizawa et Ryusei Yokohama, les deux frères ennemis, des acteurs qui jouent… des acteurs, montrés dans des exercices scéniques d’une prodigieuse complexité. Leurs compositions hautes en couleur et enlevées, dans des registres très variés, contribuent, avec l’art époustouflant de la mise en scène de Sang-il Lee, à faire du « Maître de Kabuki » un film fou, immense.