Traînante, amusée, provocante, sensuelle, bien posée et qui en impose. Il était une voix. Des 80 chansons de Brigitte Bardot, décédée ce dimanche , certaines restent inoubliables. Pas seulement celles de Gainsbourg. On dirait surtout que BB, beaucoup plus que dans ses films, a toujours pris du plaisir à chanter, comme si elle jouait davantage avec les mots. Si elle n’a jamais voulu les défendre sur scène, son timbre installe immédiatement un climat. On dirait que, pour elle, le cinéma représente la contrainte, le travail, et la musique, une récréation. Serge Gainsbourg a pris très au sérieux cet appel d’air. Ses chansons s’écoutent comme des autoportraits de BB. « Bubble Gum » , c’est la mangeuse d’hommes qui parle du fond d’elle-même et de son vécu : « Aimer toujours le même homme/C’est des histoires à la gomme ». Elle lui inspire ce qu’il pourrait chanter lui : « Je me donne à qui me plaît/Ça n’est jamais le même, mais quoi ?/Que celui qui n’en a jamais bavé/Me jette le premier pavé », écho au « J’en ai bavé, pas vous ? » de Gainsbourg dans « la Javanaise » . Tout se termine en séparations et en chansons. « Bonnie and Clyde » , ce sont eux, BB et Gainsbourg. Hors-la-loi à jamais. Cette ballade toute en douceur dans la manière de défourailler les mots, inspirée d’une histoire vraie, devient jeu amoureux de deux marginaux fondamentaux. Il a écrit la chanson en une seule nuit, au cœur de leur brève histoire d’amour. Il compose au piano en fumant cigarette sur cigarette, tandis qu’elle dort à côté. « Je n’ai besoin de personne en Harley-Davidson » , un tube et un manifeste : Bardot n’a besoin de personne, et le fera assez vite savoir au milieu du cinéma. Gainsbourg réussit en 1967 ce que d’autres auteurs-compositeurs ont manqué avec l’icone féminin. Tout sonne vrai, pas seulement la ritournelle. Vrai, comme leur liaison déclenchée par la chanson. Un show BB au petit écran a provoqué la rencontre. La star est invitée à faire son marché parmi nombre de compositeurs, dont Gainsbourg. Toutes les notes de l’amour C’est aussi pour ce programme que le fumeur de havane l’habille en Barbarella brune et lui fait chanter les onomatopées « Shebam, pow, blop, wizz ! » dans « Comic Strip » . Même « Je t’aime, moi non plus » a été écrit pour elle. Son mari Gunter Sachs en refusant la commercialisation, le chanteur l’offrira un peu plus tard à Jane Birkin, sa nouvelle compagne . La version originale du duo avec BB sortira finalement en 1986. Il est vrai aussi que l’ombrageux époux et la star avaient divorcé dès 1969, et que les infidélités s’étaient multipliées des deux côtés pendant les quelques années de leur mariage. Tout ça pour ça. Avant la symphonie Gainsbourg, au début des années 1960, Jean-Max Rivière, parolier pour Juliette Gréco , Françoise Hardy ou Serge Reggiani, écrit plusieurs chansons pour la nouvelle star, comme « Sidonie » , très provocante dans la France gaulliste — « Sidonie a plus d’un amant… » —, ou « la Madrague » : « Sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés… » Rivière la devine, écrit des mots qui incarnent son indépendance absolue, son sourire coquin, nature. Sa carrière de chanteuse traverse toutes les années 1960, du ton jazzy des débuts à une nostalgie à la Hardy, qui chantera « l’Amitié », qu’elle a refusée, en passant par les années yé-yé. Gérard Lenorman, en 1969, avant de chanter sous son propre nom, lui offre deux superbes compositions, la légère « Fille de paille » — « Ah que pour toi ce doit être éprouvant/D’être amoureux d’une fille de paille/Car je m’envole au premier coup de vent ». Cruelle avec un sourire, comme en s’excusant pour tous ces cœurs brisés. Et « Je voudrais perdre la mémoire » , jolie variation sur le désir de tout oublier pour revivre une même histoire une seconde fois. BB a du flair. En 1970, elle fait des pieds et des mains pour donner de la voix sur « Tu veux ou tu veux pas ? » , l’adaptation d’une chanson brésilienne d’abord popularisée en France par le jazzman Marcel Zanini. Son autobiographie donne cette impression que ses passions ressemblent à des chansons, l’une poussant l’autre, face A pour celles qui comptent, face B pour celles qui passent.