On ne l’attendait pas sur ce terrain. Le cinéaste allemand d’origine turque Fatih Akin avait certes varié les genres jusqu’ici avec quinze longs-métrages tournés vers le drame social (« Head On », Ours d’Or à Berlin en 2004), la comédie dramatique culinaire (« Soul Kitchen »), le documentaire musical (« Crossing the bridge ») ou le thriller vengeur (« In the Fade », qui valut à Diane Kruger le prix d’interprétation féminine à Cannes en 2017). Mais il s’était jamais attardé sur l’histoire de son pays : c’est chose faite avec « Une enfance allemande », en salles ce mercredi après être passé par Cannes en mai et le Festival du film de Lama en Corse fin juillet . Ce d’une façon à la fois éblouissante et bien particulière. Car le réalisateur traite d’un sujet rarement évoqué au cinéma : les sentiments qui ont pu habiter les Allemands soutenant Hitler ou adhérents du parti Nazi lors de la chute du IIIe Reich en 1945. C’est à travers les yeux d’un enfant, dont les parents sont nazis, et dans un contexte assez singulier, qu’il distille son récit. Singulier, car le film se déroule entièrement sur l’île isolée et sauvage d’Amrum, au nord-ouest de l’Allemagne. Des lieux d’une beauté époustouflante Un lieu un peu hors du temps et de l’histoire, qui vit dans une bulle, et où les habitants - pour la plupart pêcheurs ou agriculteurs, surtout des femmes à cette période, les hommes étant retenus au front - ne soutiennent pas particulièrement le régime en place et ont tous hâte que la guerre s’arrête. À l’exception des quelques nazis présents sur l’île, dont le petit Nanning, 12 ans, enrôlé par ses parents aux Jeunesses Hitlériennes. Mais Nanning n’a lui aussi que faire de la politique et de la guerre : son père est au front, et sa mère, qui doit déjà veiller sur trois enfants, est enceinte et souffre des nombreuses restrictions. Alors Nanning sèche souvent les cours pour dénicher ce dont rêve sa maman : du pain, du beurre et du miel pour enfin déguster une tartine idéale en ces temps douloureux. Nanning travaille également aux champs avec un ami de son âge pour aider financièrement son clan, et multiplie les virées à vélo au cœur de la somptueuse nature de l’île, tandis que les échos de fin du conflit se font de plus en plus présents et que des réfugiés venus de Silésie, en Pologne, affluent chaque jour… Une quête initiatique Cette histoire est réelle, c’est celle de l’enfance du cinéaste allemand Hark Bohm, mentor et ami de Fatih Akin, qu’il a racontée dans un livre puissant. Il devait l’adapter en film, mais, malade, il a dû renoncer, demandant à Fatih Akin de mener le projet à bien. Le réalisateur de « Head On » s’est fié aux paroles de son ami avant de découvrir l’île d’Amrum, qu’il ne connaissait pas, et d’y embarquer ses comédiens et techniciens pour cinq semaines de tournage. Un choc visuel pour lui, tant les lieux sont d’une beauté époustouflante, qu’il nous fait partager tout au long du film via des plans naturalistes sidérants. Un cadre de rêve pour un récit remarquablement tenu qui évoque une quête initiatique pour un enfant, les malheurs dus à la guerre, la survie et l’ambivalence des sentiments dans un tel contexte, la culpabilité de tout un peuple, et même le problème - bien actuel - des réfugiés. Tout cela en 1h33, un tour de force. Pour y parvenir, le cinéaste a enrôlé une formidable troupe de comédiens. Son amie Diane Kruger y tient, remarquablement, un rôle court par son temps d’écran, mais essentiel dans le récit, celui d’une agricultrice qui doit faire tourner sa petite exploitation et qui va exprimer à voix haute son ras-le-bol du Reich et du conflit. La comédienne a dû apprendre le frison, langue complexe alors en vigueur sur l’île, pour incarner cette paysanne qui n’a pas froid aux yeux. Mais celui qui crève l’écran se nomme Jasper Billerbeck, enfant dont c’est la première apparition à l’écran dans le rôle de Nanning. Recruté dans une école de voile, ce préado livre une prestation insensée, faisant passer tous les sentiments d’un peuple par son seul regard inquiet. Une performance que Hark Bohm, décédé entre-temps, aurait certainement trouvé à la hauteur de son étonnante enfance si bien mise en images par son ami Fatih Akin…