« Tout ce que vous me dites, ça me fait halluciner ; ce que racontent les gendarmes, c’est que des mensonges ! », tonne dans son box du tribunal de Brest l’un des trois prévenus, qui a beaucoup de mal à se retenir, tant physiquement que verbalement. À la présidence de l’audience correctionnelle, le juge Xavier Jublin soupire. « Bon, allez, asseyez-vous. (…) Vous, vous sortez, on va rester entre adultes, maintenant. Et vous, arrêtez de parler quand on ne vous donne pas la parole ! Vous avez bien l’habitude des tribunaux, pourtant ? » L’un des passagers était recherché par la police Ce mardi 30 décembre étaient jugés, à leur demande, en comparution immédiate trois hommes âgés de 20, 40 et 50 ans aux casiers judiciaires bien remplis responsables ce week-end d’ une terrifiante course-poursuite avec les gendarmes sur les routes du Nord Finistère qui s’est terminée en crash. Dans la nuit du 27 au 28 décembre, dans le centre-ville de Saint-Pol-de-Léon, après avoir uriné sur une voiture, le plus âgé s’est fait remarquer d’une patrouille de gendarmerie. D’autant qu’il roulait ensuite tous feux éteints. Après un refus d’obtempérer quand les militaires lui demandent de s’arrêter, il s’enfuit, avec trois passagers - deux hommes et une femme — à bord. S’ensuit une course-poursuite « chaotique » digne d’un mauvais film sur une vingtaine de kilomètres : d’abord à contresens sur la voie express, puis à travers champs, « en jetant des objets par la fenêtre », dans la poussière, la boue et le noir total. « J’ai eu peur pour ma vie » Si les deux passagers hommes finissent par prendre la fuite à pied avant d’être interpellés, le conducteur, lui, poursuit sa route, jusqu’à être coincé par deux véhicules de la gendarmerie de Saint-Pol et un véhicule du PSIG, venu en renfort… dans lequel il aurait foncé à plusieurs reprises, selon les forces de l’ordre. Injures, violences, menaces de mort et outrages en pagaille avant la garde à vue générale qui s’impose. Le véhicule en cause était volé. Et l’un des passagers, devant exécuter une peine de 42 mois de prison, faisait l’objet d’un mandat d’arrêt. Au total, une quinzaine de gendarmes ont été mobilisés, dont onze se sont portés partie civile à l’audience. « J’avoue qu’en plus de dix ans de métier, j’ai rarement eu une intervention comme celle-là, glisse l’un des gendarmes du PSIG. Cela ne nous arrive pas régulièrement de faire du rodéo sur la quatre voies et dans les champs. » L’une de ses collègues qualifie même de « ballet d’autos tamponneuses » la scène finale de la course-poursuite. « Tout ça pour un simple contrôle » À ses côtés, l’un de ses collègues de la brigade de Saint-Pol opine du chef : « Moi j’ai eu peur pour ma vie. Cet individu a essayé de nous foncer dedans volontairement avec sa voiture. (…) J’ai compris qu’il voulait casser un max de véhicules quitte à nous blesser ». Pour ces militaires et notamment cinq d’entre eux blessés (5 jours d’ITT ou moins), la scène décrite rappelait le film « Duel » : « On voit encore ces phares qui nous arrivent dessus… tout ça parce qu’on devait procéder à un simple contrôle ». Le contexte, d’autant que l’affaire est jugée « en urgence », est resté nébuleux. Selon le conducteur de 50 ans, principal mis en cause, tout aurait commencé par un repas au restaurant, avec beaucoup d’alcool, qui se serait transformé en « expédition punitive » entre Roscoff et Landivisiau, pour aller « cogner » un homme – vraisemblablement dealer qui aurait fait du mal à leur amie (la quatrième passagère, donc). « On avait bu et j’avais pas le permis » « Bah on avait bu, et j’avais pas le permis, glisse le quinquagénaire, mangeant un mot sur deux. Donc, on a voulu s’enfuir, oui. » « Quel mépris de la vie humaine ! tonne Me Labat, l’avocat des gendarmes. Ces tristes sires ont heurté ces représentants des forces de l’ordre de manière délibérée, on ne peut laisser agir ces gens en toute impunité ! » Le ministère public, soulignant le refus d’obtempérer « devenu de plus en plus courant », a demandé le maintien en détention des prévenus avec des peines allant de 15 mois à cinq ans de prison ferme. Des insultes et des coups « des deux côtés » Pour Me Tracol, avocat de l’homme de 20 ans qui était recherché par les autorités, « tout est soumis, dans ce contexte chaotique, à interprétation ». Il a rappelé que les gendarmes avaient eux-mêmes reconnu à la barre, des insultes et des coups « des deux côtés ». « Mon client est le seul ici à avoir eu 15 jours d’ITT, on lui a notamment cassé des doigts et il a été copieusement insulté, comme on peut le voir sur les caméras des gendarmes. C’est aussi aux forces de l’ordre, surtout dans l’exercice de leur fonction, de ne pas changer de version des faits », a tenté Me Le Reun représentant l’homme de 40 ans, en plaidant… la relaxe. « J’espère que le journal mettra pas mon nom » Me Copez, l’avocat du conducteur de 50 ans, a évoqué un homme « au parcours de vie complexe », dont le casier compte pas moins de 25 mentions. Selon lui, atteint d’un cancer, il n’aurait que peu de temps à vivre. « Outre nombre de dépositions contradictoires », l’avocat a souligné avec éloquence que, dans « ce flou total », un gendarme a sorti son arme de service hors de la fenêtre passager du véhicule de fonction en direction des fuyards… Pas assez pour dissuader le tribunal de condamner Baptiste Bernier, le conducteur à 15 mois de prison ferme et Franck Le Velly à quatre ans ferme, avec maintien en détention. « J’espère que Le Télégramme mettra pas mon nom dans le journal sinon ça va chier ! », a une dernière fois tonné ce dernier en quittant la salle d’audience. Le troisième larron, aux 15 jours d’ITT, a quant à lui, a été condamné à six mois ferme, avec détention à domicile sous bracelet électronique. Dans la salle des pas perdus du tribunal, certains comparaient le trio aux « Pieds nickelés ». En moins drôle.